Comment devient-on musicien.ne professionnel.le ? (Partie 1)

Il y a mille et une façons de devenir musicien.ne, et mes collègues et moi avons chacun.e un parcours qui nous est propre. Nous avons pas mal toustes en commun d'avoir étudié la musique, mais je connais aussi des musiciens qui ne sont pas passés par un établissement d'enseignement pour pratiquer leur métier. Il y a donc différentes façons de parvenir à transformer ce que beaucoup de gens considèrent comme un simple hobby en vrai métier. Il ne me revient pas de vous parler du parcours des autres, mais j'ai décidé de vous parler du mien. Petit hic : cette histoire est longue et commence en 1990. J'ai donc décidé de la décliner en trois parties : 

Partie 1 : la genèse
Partie 2 : les études supérieures
Partie 3 : la consolidation

Je pourrais vous résumer la première de ces trois parties en une seule phrase : je suis tombée dans la potion magique quand j'étais petite. Je ne m'empêtrerai pas dans les notions de philosophie, mais il y a une part de détermination dans mon parcours, et je ne peux la passer sous silence : ma génétique et le milieu dans lequel j'ai grandi sont en partie responsables du métier que j'ai choisi. Du plus loin que je me souvienne, il y a toujours eu de la musique à la maison. Mon père vient d'une famille où la musique prenait beaucoup de place, il a appris la guitare à l'adolescence, et a probablement joué tous les jours de sa vie depuis. Beaucoup de mes souvenirs d'enfance contiennent une image de mon père assis quelque part dans la maison ou sur le balcon, jouant sur sa Larrivée. Il détonnait dans notre quartier de banlieue : il était le voisin un brin hippie qui, au lieu d'écouter le sport à la télé, apprenait à interpréter avec précision les chansons de ses idoles folk. On entendait James Taylor, Bruce Cockburn, Simon & Garfunkel, Joni Mitchell, Neil Young et plusieurs autres jouer en boucle dans la maison. Pas surprenant que je me sois donc rapidement intéressée à la musique. 

L'enfance

Décembre 1990 - Crédit photo Lise Bolduc
La première fois que je suis monté sur scène pour chanter, j'avais trois ans. C'était un spectacle de Noël au jardin d'enfants, et j'avais interprété "Où vont les étoiles", un cantique un brin obscur, accompagnée par mon père. Malgré mon très jeune âge, je chantais très juste, comprenais la musique et avais le sens du rythme (ce qui, je le concède, sont des caractéristiques qui ne sont pas données à tout le monde, et sur lesquelles on a très peu de contrôle). Un moment de répétition en vue de ce concert constitue d'ailleurs l'un de mes premiers souvenirs d'enfance : cuillère à la main en guise de micro, accoutrée d'un pantalon rouge vif un peu baggy et d'un très vintage t-shirt souvenir de Vancouver ramené d'un voyage à l'été 1990 (une reine du style), je prenais la tâche plus qu'au sérieux. Je me souviendrai toujours du sentiment qui m'habitait au moment de ma prestation : j'étais déterminée... et j'en voulais aux autres enfants de chanter en choeur avec moi plutôt que de m'écouter. Diva à trois ans. Un avenir prometteur. 

J'avais un frère de deux ans mon ainé qui, vers l'âge de cinq ans, a commencé à jouer du violon. Voulant l'imiter, j'ai demandé à mes parents de m'inscrire à des cours. Après quelques mois de leçons, j'apprenais ses chansons plus vite que lui et me faisais un plaisir de le lui faire savoir (désolée J-P, c'était un peu arrogant, mais une bien piètre vengeance pour la fois où tu m'as attachée sur la poutre du sous-sol et laissée seule dans le noir pendant ce qui m'a semblé être une éternité). Par contre, je trouvais limitant le fait de ne pas pouvoir chanter en même temps que je jouais, et après trois ans de leçons, j'ai demandé à changer d'instrument pour le piano. Ça m'a beaucoup aidée dans l'apprentissage de la lecture musicale, j'avais une super prof (allô Marie-Josée !) et j'étais vraiment heureuse de pouvoir chanter les désormais classiques airs du Roi Lion en m'accompagnant. Ça a duré cinq ans, et je me débrouillais plutôt bien. J'avais rassemblé mes économies d'enfant (tous mes cadeaux de Noël, de fête et mon argent de poche hebdomadaire) pour m'acheter un synthétiseur bien bas de gamme contenant une banque de son. Avec mon nouveau jouet préféré, je m'amusais à composer des chansons ou des "jingle radio" à partir de trames qui y étaient préenregistrées. Je ne pourrais dire combien d'heures j'ai passées à m'amuser sur cet engin plutôt qu'à jouer avec les autres enfants de mon âge.

La première fois qu'on m'a payé pour jouer de la musique, j'avais dix ans. C'était à l'occasion de la cérémonie de mariage d'une intervenante qui travaillait à mon école primaire et qui savait que je jouais de la musique. Elle a appelé mon père, et nous avons animé la cérémonie ensemble. Je me souviens entre autres avoir chanté "My Heart Will Go On", solo de flûte à bec inclus. Grand moment. À la suite de ce premier contrat, on m'a engagée pour chanter dans deux autres cérémonies de mariages qui avaient lieu quelques mois plus tard, et le bouche-à-oreille faisant son effet, j'ai obtenu des contrats de mariage chaque année de ma vie depuis. Je dis toujours que j'ai quinze ans de carrière parce que ça paraîtrait louche de dire que j'ai commencé à dix ans, mais officiellement, ça fait vraisemblablement 26 ans cette année qu'on m'engage comme musicienne.  

L'adolescence

1999. Je suis soudainement une préado, et je découvre des groupes punk-rock comme NOFX et Blink-182. Je n'ai alors plus qu'un seul but : m'acheter une guitare électrique et apprendre à jouer les chansons de mes groupes préférés. Tel père, telle fille, vous me direz. C'est donc ce que j'ai fait. Les heures à composer sur mon synthétiseur se sont transposées à la guitare à mesure où j'apprenais de nouveaux accords. J'avais une douzaine d'années et j'écrivais des chansons dans un anglais très approximatif où tous les verbes étaient à l'infinitif : tout le monde sait que "je suis" se traduit par "I to be". Oui, oui. À 14 ans, je découvre le groupe emo acoustique Dashboard Confessional, et me procure finalement ma première guitare acoustique, instrument qui, à ce jour, est encore mon instrument de prédilection. En tant qu'adolescente bien bien tourmentée, la musique était pour moi un refuge, et toutes mes émotions négatives y étaient canalisées. La musique me permettait de m'exprimer subtilement, sous le couvert de l'art et de la création. Maintenant, je comprends que ça a pallié à ma difficulté à m'ouvrir et exprimer mes émotions verbalement et que c'est un peu devenu une béquille, mais bon; ça aura au moins donné plusieurs belles chansons. 

C'est aussi pendant l'année de mes 14 ans que je me suis inscrite à mes premiers cours de chant. Mes parents voulaient que je privilégie l'apprentissage d'instruments de musique et de la théorie musicale avant de peaufiner ma technique vocale, et c'était effectivement une excellente stratégie. D'ailleurs, si vous vous posez la question pour vos propres enfants, je vous conseille de faire la même chose. C'est aussi à cette époque que j'ai participé à mes premiers concours (Secondaire en spectacles, Expo Québec et le concours du Téléthon Opération Enfant Soleil). Certaines de ces expériences ont été plus amusantes que d'autres, mais elles ont toutes été formatrices. En parallèle, je faisais toujours des contrats de mariage avec mon père, mais nous avions élargi notre offre et faisions également de la musique lors de cérémonies de funérailles, dans les maisons d'âge d'or, ou à l'occasion d'événements spéciaux organisés par les diverses municipalités du coin comme les fêtes de la St-Jean-Baptiste ou des épluchettes et des soupers spaghettis au profit d'organismes, par exemple. Le mot se passait et on faisait souvent appel à nous dans Lévis et les environs. Il me semble que c'est en 2004 que nous avons obtenu notre premier contrat régulier dans un restaurant de Charny où nous avons joué une à deux fois par mois pendant une bonne dizaine d'années.

Le cégep

Vient un moment où on doit inévitablement choisir ce qu'on fera dans la vie, et je continue de penser que 17 ans, c'est un peu tôt pour décider de son avenir. J'ai fait ma première année de cégep dans le programme d'Arts et Lettres profil littérature du cégep Garneau, parce que je me disais que devenir musicien.ne était un métier instable (oui, je sais...la littérature n'est absolument pas un meilleur choix. Je vivais fort probablement dans le déni de mes propres envies, mais surtout, je n'avais aucun modèle de musicien.ne professionnel.le dans mon entourage, et les tests du cours d'éducation-choix-de-carrière ne semblaient pas non plus contenir cette option). Après une horrible année à dormir dans mes cours et à détester absolument tout sauf la poésie, le théâtre, et sortir illégalement dans les bars (RIP La Relève et ses bières-et-petits-forts à 1,50$ le jeudi), je n'ai eu d'autre choix que de me rendre à l'évidence : ce programme n'était pas le bon pour moi. Pour la petite histoire, j'ai toujours eu d'excellentes notes à l'école. Cette année-là, j'avais passé flush partout, sauf dans un travail d'écriture de poèmes où je m'étais imaginée écrire des chansons et pour lequel j'avais obtenu la note de 96%. Il était temps que je cesse de fuir mon propre destin. 

Je me suis donc inscrite dans le programme de musique jazz et populaire du Campus Notre-Dame-de-Foy avec la bénédiction de mes parents (c'est un programme semi-privé, on les remercie), et j'y suis entrée à l'automne 2005, dans une magnifique cohorte de chanteuses que je compte encore aujourd'hui parmi mes amies les plus chères. J'y ai également rencontré mon meilleur ami, un bassiste (allô Manu !) avec qui je compose encore de la musique pour notre formation pop-punk All My Friends Have Kids. Je ne le dirai jamais assez, étudier en musique sert surtout à trois choses : (1) apprendre des notions musicales poussées de manière encadrée, (2) se faire des contacts et (3) apprendre à collaborer et développer une éthique de travail. Et je pense sincèrement que ce sont les deux derniers aspects qui sont les plus importants. Aujourd'hui, avec toute l'information et les applications auxquelles le web nous donne accès, apprendre à jouer d'un instrument est accessible à toustes. Mais la véritable différence entre un.e musicien.ne de sous-sol et un.e musicien.ne de métier, c'est la manière dont les choses se passent sur le terrain. L'école nous apprend à respecter des échéanciers, être à l'heure, s'organiser, apprendre un tas de trucs sous la pression, performer, être notés, etc. C'est un merveilleux terrain de jeux qui permet d'explorer dans un cadre à la fois rigoureux et sécuritaire. On nous demande d'apprendre des choses bien plus difficiles que ce qu'on fera par la suite, et ça nous permet d'arriver dans la vraie vie et d'être prêts à (presque)* tout. En plus, c'est drôle à dire, mais faire le choix d'étudier en musique, c'est aussi faire le choix d'en faire son plan A. Et je l'ai toujours dit : la seule manière de réussir dans ce genre de domaine, c'est de ne pas avoir de plan B. 


Mes trois années de technique en chant ont donc été déterminantes pour la suite des événements. Toujours en parallèle, les occasions de jouer avec mon père sont devenues de plus en plus nombreuses. C'est l'époque à laquelle nous avons commencé à présenter des concerts commentés dans le réseau des bibliothèques des villes de Québec et de Lévis, en plus de se voir offrir d'autres contrats dans différents restaurants de la rive-sud, tout en continuant à accompagner de notre musique des cérémonies de mariages et de funérailles. C'est également à cette époque que par l'entremise d'amis musiciens, j'ai eu l'occasion de présenter à plusieurs reprises mes compositions dans le cadre de premières parties de concerts emo dans des bars et salles de spectacles de Québec. 

En janvier 2008, j'ai été engagée dans une école musicale comme professeure de chant, ce qui m'a permis d'établir d'autres contacts avec des musiciens.nes que je n'aurais jamais rencontrés autrement, et qui, eux aussi, avaient leur propre réseau. Mes études en musique auront également servi à ça, une formation musicale étant nécessaire pour obtenir ce genre de poste. Je me suis mise à collaborer avec certains.es d'entre eux.elles, et j'ai réussi à décrocher des contrats en trio jazz dans certains restaurants ou à l'occasion de fêtes privées. Le mot se passait, je faisais doucement ma place et élargissais mon offre afin de pouvoir répondre au plus grand nombre de demandes. J'avais 19 ans et je savais déjà que j'aimerais ça. J'avais 19 ans et je savais déjà que j'étais à ma place.

Je m'arrête ici pour l'instant, cette histoire est déjà trop longue. La suite dans mon prochain billet :)

À bientôt !


*Nous y reviendrons...on ne nous prépare malheureusement pas à gérer une crowd de gens pactés






























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