Pourquoi tu ne restes pas prendre un verre ?

Notre métier a une réputation souvent haute en couleur, et chaque musicien.ne traîne sur son dos le fameux cliché du "sex, drugs and rock ’n’ roll".  La légende veut que nous soyons toujours bien bien défoncés et prêts pour le party, et même s'il est vrai que comme tout le monde, nous aimions festoyer de temps à autre, vient aussi un moment où le sens des responsabilités nous rattrape, et où accepter tous les shooters qu'on se fait gracieusement offrir peut devenir un problème. 


Je suis la première à aimer prendre une pinte quand je joue dans les bars, parce que ça me permet d'être un peu dans le même mood que mon public. L'affaire, c'est que quand jouer de la musique devient véritablement un job à temps plein et qu'on se produit cinq à six soirs par semaine, ça devient facile de boire tous les jours. Non seulement ce n'est définitivement pas idéal pour la santé physique et mentale, mais pour des cordes vocales à qui on en demande déjà beaucoup, c'est insoutenable. Mais il n'y a pas que ça. Allons-y doucement. Dans les prochains paragraphes, je tenterai de vous expliquer pourquoi il m'arrive de devoir refuser un verre (ou plusieurs), et surtout, pourquoi la plupart du temps, je retourne sagement chez moi après ma gig, même si ça serait vraiment le fun que je prenne le temps de jaser et de festoyer avec vous. 


Lexique de la santé vocale


D'abord, il est important de souligner que le métier de chanteur.euse est extrêmement exigeant physiquement. Les cordes vocales sont des muscles, et comme tout.e bon.ne athlète, l'hygiène de vie et l'entraînement sont à la base d'une bonne performance. Ensuite, comme je suis travailleuse autonome pigiste, si je ne suis pas suffisamment en forme pour offrir une prestation, vous comprendrez que je ne serai pas payée, et que mes clients seront déçus. Pour gagner ma vie, je dois donc impérativement être en mesure de chanter soir après soir, peu importe si j'ai fait de l'insomnie, contracté un rhume ou mal digéré quelque chose. 

 

Faisons ensemble un tour d'horizon des petites choses du quotidien qui peuvent directement affecter ma santé vocale, et donc, ma performance, et auxquelles je dois impérativement faire attention.

 

Les rhumes/laryngites/sinusites/bronchites/virus et toutes les maladies ORL


On tend vraiment à sous-estimer l'impact que peut avoir un "petit rhume" sur la voix de quelqu'un dont le métier est de chanter. Il faut comprendre que puisque nos cordes vocales sont en constante surutilisation, nous sommes (1) plus susceptibles d'attraper des infections respiratoires, et (2) de développer des complications (tout finit pas mal toujours en laryngite, en ce qui me concerne). Contracter un rhume, pour moi, ça signifie donc souvent devoir prendre 2-3 jours de repos vocal complet (quand je dis complet, c'est véritablement être chez moi et ne parler à personne, ce qui est quand même désagréable), puis, 3-4 autres jours à devoir faire hyper attention en parlant et en chantant, en plus d'éviter toute activité sociale qui me demanderait de soutenir des conversations si je veux économiser ce qu'il me reste de voix pour ne pas avoir à annuler tous mes contrats de la semaine. Par la suite, je vais également sentir que ma voix a subit un traumatisme et qu'elle n'est pas au meilleur de sa forme pendant une autre bonne semaine. Si on fait le calcul, on est rendu à deux semaines d'impact sur ma santé vocale. Considérant qu'on peut contracter plusieurs rhumes dans une année, ça peut vite devenir tannant. Ça veut aussi dire que je suis la personne qui préfère annuler des rencontres quand mes amis.es (ou leurs enfants) ont un "petit rhume", que j'évite de rester en contact prolongé avec des gens dont je ne connais pas l'état de santé, que je ne laisse personne boire dans mon verre, que je déteste quand on me parle trop près du visage et surtout, que je refuse de prêter mon micro en tout temps. Allô, je m'appelle Maude, et je suis la fille hypocondriaque qui n'est absolument pas enjouée à l'idée de serrer des mains ou d'embrasser tout le monde sur les joues à Noël (ma plus grande hantise). La COVID, pour moi et la plupart des chanteurs.euses que je connais, c'était just another day at the office. Ça peut être très difficile à comprendre pour notre entourage, et je le sais, vraiment gossant, mais il faut savoir que ça ne nous fait pas plaisir d'être cette personne-là. Je rêve souvent de la journée où je vais pouvoir aller dans un party sans me demander si ces quelques heures de fun vont me coûter une semaine de job, et je n'exagère malheureusement pas. En contrepartie, je rêvais d'être chanteuse, alors vous savez ce qu'on dit...choisir, c'est aussi renoncer. J'ai fait ce choix et j'en expérimente aussi les bons côtés tous les jours. 


Le sommeil et l'hydratation


Les cordes vocales étant des muscles, elles vivent la même vie que les quadriceps des sportifs de haut niveau : à l'instar de l'athlète qui doit s'assurer d'une récupération musculaire suffisante pour bien performer, je me dois d'offrir un contexte de récupération idéal à mon corps. Bien dormir, bien manger et m'hydrater suffisamment sont des gestes clés pour bichonner mes petites cordes vocales. Si elles ne récupèrent pas adéquatement, je sentirai certaines limitations au niveau de leur souplesse et donc, de mon registre et de mon agilité vocale. Certains sons ne seront pas émis comme à l'habitude, et je devrai jongler avec un instrument qui ne répond pas à mes commandes de la même manière que lorsque je suis en forme. Et puisque chanter sur une voix fatiguée la fatigue encore plus, je vous laisse imaginer dans quel genre de cercle vicieux cela peut nous mener. Puisque notre métier nous emmène à travailler en soirée, lorsque je termine ma prestation, je suis beaucoup plus encline à penser à la chaleur de mon lit qu'à celle du prochain Jameson dans mon œsophage


Parler fort


Lorsqu'on termine notre spectacle après avoir animé une soirée dansante ou joué dans un restaurant, le DJ remet la musique à un niveau assez fort pour garder l'ambiance à son top. Et c’est entre autres pour ça que nous restons rarement jaser après nos performances. En général, nous devons éviter les endroits où le son ambiant est moindrement élevé et où on doit forcer notre voix (voir crier) pour entretenir des conversations. Nous venons de chanter 3x 45 minutes, ce qui est déjà super épuisant même lorsqu'on a une excellente technique vocale (pensez à toutes les fois où vous vous êtes réveillé avec la voix enrouée après seulement quelques chansons au Karaoké), et bien souvent, nous savons que nous avons un autre contrat le lendemain, et le surlendemain, et encore le surlendemain, etc. De manière générale, j'évite les sorties dans les bars bruyants avec mes amis.es et manque beaucoup de belles occasions de m'amuser, justement pour éviter d'avoir à surutiliser mon instrument. Je le fais aussi pour diminuer mes chances de tomber malade, parce que chacun sait que le nombre de postillons reçus au visage se multiplie drastiquement dans un endroit où on doit crier pour s'entendre. J'applique donc la même règle avec le public : malheureusement, je dois éviter de passer trop de temps dans un environnement bruyant, et j'essaie de me tenir à une distance raisonnable de votre visage. Ce n'est rien contre vous, c'est une question de santé et de qualité de performance. 


L'alcool et la cigarette


Retournons à ma phrase d'introduction : le fameux mythe du "sex, drugs and rock ’n’ roll". Eh bien non. Je ne prends aucune drogue, ne fume pas la cigarette (même si une bonne tope de temps en temps me tenterait en maudit), et j'essaie d'être raisonnable quant à ma consommation d'alcool, même si ça représente un défi. Je vous entends déjà me dire que vous connaissez plusieurs chanteurs qui fument comme des cheminées...et je vous répondrai qu'on n'a tout simplement pas toustes la même résistance physique, le même nombre de contrats par semaine (certains.nes chansonniers.ères ont un job de jour et ne jouent qu'une fois ou deux par semaine), le même âge (mettons que dans la vingtaine, je pouvais m'en permettre un peu plus), et la même gestion du risque. Tant mieux (ou pas) pour les chanteurs.euses qui peuvent se le permettre, mais personnellement, si je me mets à fumer des cigarettes alors que je chante cinq soirs de suite, je sais que je vais probablement attraper tous les virus qui existent les uns après les autres et que je ne pourrai pas tenir le rythme bien longtemps. La raison est simple : tous les irritants exposent notre gorge et nous rendent vulnérables aux infections. C'est le même principe qu'une plaie ouverte. Chaque fois que notre gorge est irritée, nos défenses naturelles sont diminuées. Crier et fumer la cigarette sont deux irritants particulièrement destructeurs. L'alcool fort aussi. Et en ce qui concerne les autres types d'alcool comme la bière, le vin ou les cocktails en tout genre, il ne faut pas oublier qu'ils déshydratent, et que pour conserver une bonne santé vocale, l'hydratation est d'une importance capitale. De plus, consommation d'alcool = sommeil perturbé. Il faut donc adapter nos habitudes de consommation en conséquence. Plate, vous dites ? Yep. C'est l'envers de la médaille d'un métier qui est vraiment cool. La vérité, c'est que tout mon quotidien tourne autour de ma santé vocale. Si je décide de me lâcher lousse, je prends aussi la chance de compromettre ma prochaine semaine de travail au complet. Vous comprendrez que c'est limitant et que ça génère beaucoup d'anxiété. Pas mal moins romantique que ça en a l'air, ein ? Alors la prochaine fois que je refuserai de rester prendre un verre avec vous, vous saurez que ce n'est pas l'envie qui manque, mais que c'est surtout parce que je ne peux pas me le permettre sans prendre le risque d'en subir des conséquences plus que désagréables. 


Les trucs de grand-mère

Lorsque je refuse gentiment de rester prendre un verre pour conserver ma voix, je me fais souvent proposer une ponce de gin, une eau citronnée avec du miel, une tisane, ou même...un suppositoire. Je me dois malheureusement de briser tous vos rêves : cela ne fonctionne pas. J'aimerais tellement pouvoir dire le contraire, mais pour avoir littéralement tout essayé, aucun truc de grand-mère ne peut remplacer le silence et le repos. L'eau et le miel peuvent temporairement apaiser une gorge irritée, mais ça ne règle rien quand on est en fatigue vocale intense ou qu'on a un rhume. Même chose pour les suppositoires : ce sont un anti-inflammatoire au même titre que des Advils...donc pas de miracle ici non plus. Et que dire du gin ! Comme je viens de le mentionner, l'alcool fort est malheureusement l'ennemi juré de  nos cordes vocales. Être saouls peut nous aider à ressentir un peu moins la douleur causée par l'irritation pendant un court moment, mais le fait d'avoir consommé de l'alcool aura instantanément des impacts négatifs sur notre rémission, ce qui est LA chose qu'on cherche à éviter. C'est décevant, mais repos et silence sont les deux seuls véritables trucs.


Conclusion


L'image du party animal qui nous est attitrée serait donc fausse ? Pour les musicien.nes dont l'instrument principal est le chant, quand même, oui. La voix est fragile, et en prendre soin demande beaucoup de sacrifices au quotidien. Personnellement, je suis totalement prête à me priver de certaines occasions sociales en échange de faire ce que j'aime le plus au monde tous les jours. En fait, je pense que c'est surtout pour mon entourage que c'est plate, parce que mon métier me fait inévitablement manquer beaucoup de réunions amicales et familiales. Déjà que je travaille les soirs et les fins de semaine, lorsque je suis en congé, je dois également bien souvent faire le choix de me reposer plutôt que de passer du temps avec les gens que j'aime, surtout pendant les grosses périodes de l'année. Et je comprends que ce soit un phénomène qui est difficile à comprendre pour la plupart des gens que je rencontre. Mais c'est un choix que la plupart des chanteurs.euses ont malheureusement à faire. Alors la prochaine fois que vous demanderez à l'artiste rencontré.e dans un bar ou invité.e à votre party s'iel désire rester prendre un verre, ne soyez pas surpris d'essuyer un refus...ce n'est rien contre vous, c'est probablement juste par souci de prendre soin d'iel et d'être dans le meilleur état possible pour ses performances à venir.


Je terminerai en répondant à deux questions qui risquent de m'être posées : 


1. Mais Maude, n'as-tu donc jamais de fun ? En fait, je priorise les moments qui sont vraiment importants pour moi, et j'en profite lorsque les circonstances sont moins risquées pour ma voix. Je garde donc les soirées où je peux me permettre quelques folies pour partager de bonnes bouteilles de vin avec mes meilleurs.es potes ou les membres de ma famille autour d'une bouffe préparée ensemble avec comme musique de fond du pop-punk à un niveau sonore de plus ou moins 3/10.


2. Mais Maude, tu parles toujours du fameux temps où ta gang de musiciens.nes se retrouvait au Boudoir à tous les dimanches soirs. Tu devais ben faire le party un peu ? Ouaaiiinnnnn. Mais ça, c'était ma réalité de fille de 25 ans qui pouvait se coucher tard, crier, boire et manger de la poutine à 4 heures du matin sans autant de conséquences sur sa santé vocale. Ce temps est révolu. Maintenant, je prends deux shooters et je fais du reflux gastrique. It's sad because it's true


À bien y penser, je retire mes paroles : le fameux mythe du "sex, drugs and rock ’n’ roll" n'a sans doute pas été inventé de toute pièce. Mais l'histoire nous dit aussi qu'il a souvent malencontreusement pris fin aux alentours de 27 ans.


À bientôt !

  







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